Train Autonome

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Le train autonome, est un train dont la traction et le freinage sont gérés par un autopilote, qui respecte les ordres de la signalisation et les horaires du déplacement, tout en optimisant la consommation d’énergie. Le pilotage automatique peut se faire en présence d’un conducteur, ou non, comme dans les métros sans personnel à bord.

Alors que l’exploitation de métros sans personnel à bord se fait depuis plus de 30 ans, qu’en est-il pour les trains de Grandes Lignes ? En quoi un train autonome est-il différent d’un métro automatique ? Quels sont les différents degrés d’automatisation ? Les réponses dans cet article !

Dernière mise à jour : 15/02/2024.

Temps de lecture : 40 min

Introduction

La conduite automatique dans le ferroviaire n’est pas un sujet nouveau : elle apparaît dès les années 1960 dans le monde du métro. Alors que le jalon des 1000 km de métros automatiques a été dépassé en Mars 2018 [1], l’automatisation de la conduite de trains grandes lignes est presque inexistante à ce jour.

En 2021, certains trains de République Tchèque fonctionnent en autonomie partielle en présence d’un conducteur. La technologie est basée sur le système de signalisation national Tchèque [2]. Parallèlement, la Chine expérimente la conduite automatique à grande vitesse (250 km/h) sur certains trains [3].

Le premier train autonome au monde a été développé par Hitachi Rail pour l’entreprise minière Rio Tinto, c’est AutoHaul [4]. Ce train achemine sans personnel à bord, les tonnes de minerais extraits des mines australiennes jusqu’aux ports maritimes, pour leur expédition.

En Europe, le train autonome fait l’objet d’expérimentations [5][6], ainsi que d’une spécification standard par les opérateurs et industriels, sponsorisée par l’Union Européenne.

Dans cet article, je vais vous conduire dans le monde des automatismes ferroviaires, afin de comprendre ce qui se cache derrière le Train Autonome.

AutoHaul

AutoHaul, le premier train sans personnel à bord, en service commercial. Crédit : Hitachi Rail STS.

Degré d’automatisation dans le ferroviaire

Les technologies de signalisation et automatismes ferroviaires offrent différents degrés d’automatisation de l’exploitation des trains. Une définition proposée par l’UITP (Union Internationale des Transports Publics) est le Grade of Automation (GoA), de 0 à 4.

  • GoA0 : conduite à vue,
    • En conduite à vue, le conducteur tractionne et freine le train selon ce qu’il voit dans l’environnement (signaux, obstacles, dangers). Aucun dispositif n’est là pour superviser sa conduite. La marche à vue est couramment utilisée pour le tramway, où les vitesses restent faibles.
  • GoA1 : conduite supervisée par un système de protection,
    • Le GoA1 apporte un premier niveau d’automatismes, car la conduite est supervisée par un système de protection : un ATP (Automatic Train Protection).
    • Un ATP peut protéger le train contre le franchissement de signaux fermés, ou le dépassement d’une vitesse limite, en appliquant automatiquement le freinage d’urgence.
  • GoA2 : traction et freinage automatisés,
    • Dans ce niveau, un autopilote génère les consignes de traction et de freinage et les envoie vers le train, à la place du conducteur : c’est l’ATO (Automatic Train Operation).
    • L’ATO génère ces consignes selon les limites de signalisation fournies par l’ATP, tout en respectant les horaires de la mission à réaliser. L’ATP continue sa supervision, et applique automatiquement le freinage d’urgence si l’ATO ne respecte pas la signalisation.
    • Le conducteur reste en cabine et continue d’observer l’environnement, afin de reprendre la main en cas de situation dégradée.
  • GoA3 : train autonome, avec du personnel à bord,
    • En GoA3, il n’y a plus de conducteur en cabine. Les aléas de l’environnement (obstacles, dangers) doivent être supervisés par d’autres moyens.
    • Du personnel reste à bord pour conseiller les passagers, et intervenir en cas d’aléas.
  • GoA4 : train autonome, sans personnel à bord,
    • Il s’agit du niveau d’automatisation le plus avancé, dans lequel il n’y a pas de personnel à bord du train.
    • C’est le degré d’automatisation des métros sans personnel à bord.
Niveaux GoA Alstom

Niveaux d’autonomie. Crédit : ALSTOM.

Chapitre 1

Le GoA1 : la conduite supervisée

1.1 Le besoin : réaliser la protection des trains

Les circulations ferroviaires présentent cinq types de dangers selon l’EPSF (Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire) :

  • le déraillement : incident ou accident dans lequel un véhicule ferroviaire sort des rails, totalement ou partiellement et dont l’origine peut être diverse (avarie sur le matériel roulant ou l’infrastructure, vitesse excessive, etc.) ;
  • le nez à nez : collision frontale entre deux trains ;
  • le rattrapage : collision par l’arrière lorsqu’un train percute un autre train qui se trouve devant lui ;
  • la prise en écharpe : collision latérale entre deux trains qui se produit à une intersection ou à une jonction de voies ;
  • la collision avec un obstacle (éboulement sur la voie, véhicule routier présent sur un passage à niveau, etc.). [1]

Afin de pallier certains de ces dangers, les exploitants ferroviaires ont mis en place des solutions. Par exemple les signaux implantés le long des voies, que le conducteur doit respecter. Sauf que cela ne suffit pas.

En GoA0, c’est à dire en conduite à vue, la vigilance du conducteur n’est pas assurée en permanence. C’est ainsi que des automatismes ont été inventés pour superviser la conduite : c’est le début du GoA1.

1.2 L’apparition des automatismes

Les exploitants ont mis en place des dispositifs de rattrapage, comme le crocodile en France, inventé en 1872. [2] Le crocodile est un équipement posé au pied de chaque signal. Il alerte le conducteur par un BIP sonore en cabine, au passage d’un signal présentant un aspect restrictif. Le conducteur a alors quelques secondes pour acquitter l’information, par appui sur un bouton. En l’absence d’acquittement dans le temps imparti, le train s’arrête automatiquement.

Le système allemand PZB, dont la première version a été mise au point dans les années 1930, équipe en 2019 32 398 km du réseau fédéral. [3] Ce dispositif a trois fonctions : appliquer le freinage au franchissement de signaux fermés, surveiller le non dépassement d’une vitesse maximale sur une section de voie, et surveiller l’acquittement par le conducteur du franchissement de signaux d’avertissement. Le PZB fait partie des systèmes de protection des trains : les ATP.

En France, le crocodile n’est pas suffisant pour éviter des accidents ferroviaires. Durant les années 1980, SNCF décide d’équiper ses trains d’un ATP : c’est le KVB. Le contrôle de vitesse par balises (KVB) est un équipement obligatoire sur un train, afin que celui-ci puisse circuler sur le réseau Français.

1.3 Les principes d’un ATP

1.3.1 Généralités

De manière générale, un ATP a pour fonction de réaliser la protection du mouvement d’un train, contribuant ainsi à limiter les dangers inhérents au système ferroviaire.

Pour cela, un ATP récupère à tout instant les informations de signalisation, sur la base des systèmes installés au sol :

  • Poste d’aiguillage (aussi appelé enclenchement), qui transmet à l’ATP les états de l’ensemble des signaux dont il a la responsabilité,
  • Les signaux eux-mêmes, lorsqu’une connexion à l’enclenchement n’est pas possible, ou pas pertinente.

Les systèmes de signalisation au sol sont parfaitement agnostiques des trains qui circulent sur l’infrastructure. Aussi, pour superviser correctement le mouvement du train, l’ATP se base sur des informations embarquées :

  • Propriétés du train, renseignées dans l’ATP par le conducteur : longueur, masse.
  • Vitesse et position du train dans un référentiel de positionnement (souvent un référentiel propre à l’ATP),

L’ATP combine toutes ces informations, pour vérifier si le mouvement du train est autorisé :

  • Le train circule à une vitesse qui ne dépasse pas une vitesse limite,
  • Le train circule dans une enveloppe autorisée par la signalisation au sol, donc par l’ATP.

Si ce n’est pas le cas, alors l’ATP applique automatiquement le freinage, grâce à une connexion directe avec le train.

Pour les circulations à grande vitesse, où l’observation des signaux le long de la voie n’est plus possible, la fonction de signalisation de cabine a été développée pour certains ATP comme la Transmission Voie-Machine (TVM) en France, ou le Linienzugbeeinflussung (LZB) en Allemagne. Dès lors, il est possible de se passer totalement de la signalisation latérale, et de n’opérer que sur la base d’un ATP offrant la signalisation de cabine.

1.3.2 Décomposition d’un ATP

Le fonctionnement de l’ATP nécessite qu’il soit situé à la fois au sol, et à bord.

Par conséquent, l’ATP se décompose en deux sous-systèmes :

  • Sol : pour récupérer, partout où cela est requis, les informations de signalisation, et les envoyer au bord,
  • Bord :
    • pour récupérer du sous-système sol les informations de signalisation,
    • pour récupérer du conducteur les propriétés du train dont le mouvement doit être supervisé (longueur, masse),
    • pour récupérer du train sa vitesse, et estimer son positionnement,
    • pour restituer au conducteur la signalisation de cabine, lorsque l’ATP propose cette fonction,
    • pour intervenir sur le train, lorsque le mouvement n’est pas autorisé.

Une interface sol-bord apparaît entre les deux sous-systèmes (aussi appelée airgap). Cette interface fait partie intégrante du système ATP.

1.3.3 Constituants d’un ATP

Voyons maintenant plus en détail les constituants des sous-systèmes bord et sol.

L’ATP sol, qui a pour fonction de récupérer les informations de signalisation et de les transmettre au bord, est composé des éléments suivants :

  • Encodeur, un dispositif qui s’interface avec le système de signalisation au sol (par le biais de capteurs, d’interfaces tout ou rien, numériques, etc), et qui adapte cette information, dans le langage propre à l’ATP,
  • Emetteur, qui transmet au train l’information adaptée par l’encodeur.

L’ATP bord, qui a pour fonctions de superviser les mouvements du train, et d’afficher la signalisation en cabine (pour les ATP proposant cette option), est composé des éléments suivants :

  • Antenne, qui récupère les données transmises par l’émetteur au sol,
  • Odomètre, un dispositif permettant d’estimer la distance parcourue par le train, et sa vitesse,
  • Interface train, qui pilote des entrées / sorties vers le train, afin d’appliquer le freinage d’urgence par exemple,
  • Interface homme-machine, un dispositif en cabine de conduite, permettant au conducteur d’interagir avec l’ATP (renseignement des propriétés train ; signalisation de cabine),
  • Calculateur, l’ordinateur embarqué, qui, sur la base des informations reçues de l’antenne, de l’odomètre, et des données train renseignées par le conducteur, applique automatiquement le freinage d’urgence via l’interface train, si le mouvement n’est pas conforme, et affiche la signalisation à l’interface homme-machine.

Voici ci-dessous quelques exemples de calculateurs bord pour des ATP comme le KVB (France) et PZB (Allemagne).

1.3.4 Les systèmes de protection et la problématique de l’interopérabilité

La France s’est équipée de son système de protection, le KVB, dans les années 1980. D’autres pays de l’Union Européenne ont fait appel à leur industrie nationale, afin de s’équiper de systèmes permettant de réaliser la protection des trains. Certains systèmes permettant aussi l’affichage d’informations de signalisation en cabine.

En effet, la construction des lignes à grande vitesse a engendré une problématique : le conducteur ne peut plus percevoir les signaux implantés le long des voies à des vitesses élevées. Un système affichant les informations de signalisation en cabine est alors nécessaire. Dès lors, les exploitants ont fait appel à leurs industriels nationaux pour concevoir ces systèmes. Cela a conduit à une grande diversité de systèmes de protection au sein de l’Union.

Ces systèmes présentent tous une interface sol-bord (airgap) spécifique, si bien que les systèmes sont incompatibles entre-eux. En conséquence, un train opérant dans différents pays de l’Union, doit impérativement s’équiper de l’ensemble des ATP requis par chaque réseau. Cela est un frein considérable à l’interopérabilité.

On entend par «interopérabilité», l’aptitude d’un système ferroviaire à permettre la circulation sûre et sans rupture de trains qui accomplissent les niveaux de performance requis.

Directive 797/2016

Union Européenne

Thalys PBKA unit

Eurostar Red, capable d’opérer dans 4 pays et équipé de 7 systèmes de signalisation embarqués. Crédit : Eurostar.

L’Eurostar rouge, le train à grande vitesse entre Paris-Cologne-Amsterdam, est un exemple emblématique de cette difficulté que posent les multiples systèmes de protection en Europe. Afin de pouvoir circuler en France, Belgique, Pays-Bas et Allemagne, ce train est multi-systèmes, c’est-à-dire équipé de plusieurs ATP embarqués différents [4] :

  • France : Crocodile (Cro), KVB, TVM
  • Allemagne : PZB, LZB
  • Belgique : TBL
  • Pays-Bas : ATB

Tous ces ATP consomment de l’espace à l’intérieur du train (armoires informatiques, capteurs et antennes sous caisse). Leur intégration est une tâche très complexe et coûteuse. De plus, le conducteur doit être formé à l’utilisation de tous ces systèmes, rendant son travail plus difficile. Enfin, maintenir un train avec tous ces systèmes dans le temps, représente un coût important.

Systèmes de protection des trains utilisés en Europe, dont ERTMS/ETCS.

Systèmes de protection utilisés en Europe. Notez le nombre de systèmes embarqués dans une locomotive multi-systèmes.

Crédit : Infradata

1.3.5 Vers la genèse d’un écosystème technique harmonisé en Europe : ERTMS

L’existence de plus de 20 systèmes de protection en Europe devenant un obstacle important à l’interopérabilité, le développement d’un ATP standardisé commence à être discuté fin des années 1980. La Commission Européenne s’empare du sujet en 1995 en définissant une stratégie pour le développement de ce système. Plusieurs entreprises de signalisation, regroupées au sein d’une structure appelée UNISIG, rédigent les spécifications du système en 1998. [5]

Les spécifications donnent naissance au premier ATP standard : ETCS (European Train Control System). A ce jour, les ATP nationaux sont obsolètes. Ils sont nommés systèmes legacy (hérités) ou encore systèmes de classe B dans la nomenclature de l’Union Européenne. Les systèmes de classe B doivent être remplacés par l’ATP ETCS à terme.

Avec la création de l’ETCS, naît un écosystème technique harmonisé : ERTMS.

ERTMS : le système européen de gestion de trafic des trains

Chapitre 2

Le GoA2, le pilotage automatique en présence d’un conducteur

2.1 Les principes de l’ATO

En GoA2, c’est donc un dispositif nommé ATO, qui réalise les commandes de traction et de freinage du train. Le conducteur est présent en cabine, et est responsable de :

  • l’engagement de l’ATO,
  • la surveillance de l’échange voyageurs en station,
  • la surveillance de la voie, notamment en cas d’obstacle,
  • la gestion de toute situation dégradée.

Le rôle de l’ATO est de tractionner et freiner le train. Pour ceci, il se base sur un certain nombre de données d’entrées :

  • La signalisation applicable au train : l’ATO doit inscrire sa conduite dans les prescriptions de la signalisation. S’il ne respecte pas la signalisation, alors l’ATO provoquera l’intervention de l’ATP, comme en GoA1.
  • Les horaires de la mission à respecter : c’est l’équivalent de la fiche horaire en GoA1. Avec les horaires, l’ATO sait à quelle heure il doit passer à tel endroit.
  • Les données du plan de voies : c’est la description des voies que l’ATO va emprunter. Avec ces informations, l’ATO « voit loin » et peut anticiper sa manière de piloter le train.
  • Les propriétés du train, comme la longueur, la masse, les caractéristiques de freinage… Avec ces données, l’ATO peut adapter sa conduite selon la typologie de convoi.
  • Le style de conduite : il s’agit de la manière dont l’ATO a été optimisé, pour produire un style de conduite optimum selon le type de train et de mission à réaliser. Le style de conduite est un élément de différenciation parmi les industriels, et représente un véritable savoir faire.

En sortie, l’ATO va commander la traction et le freinage du train. Il va également envoyer un rapport périodique à la gestion de trafic au sol, sur le statut actuel de l’exécution de la mission : à l’heure, en avance, en retard.

On comprend que l’ATO requiert de nombreuses données d’entrée, pour réaliser sa fonction de traction et freinage automatique. Pour récupérer toutes ces informations, l’ATO est en interface avec :

  • Un système de gestion du trafic, appelé TMS (Traffic Management System) qui procure à l’ATO les données horaires et de plan de voies actualisées. Cette liaison continue permet à l’ATO d’avoir à tout instant le schéma d’exécution à jour. En retour, l’ATO envoie périodiquement le statut d’exécution de la mission. Cette interface est dédiée à l’exploitation : elle permet aux superviseurs en centre de contrôle, d’avoir une vue globale sur les trains équipés d’ATO sur une ligne. En cas de perturbations, les superviseurs peuvent prendre des décisions qui s’appliquent immédiatement aux ATO concernés, par l’envoi d’une mise à jour des horaires,
  • L’ATP, qui procure à l’ATO les informations de signalisation applicables,
  • Le conducteur, qui interagit avec l’ATO (pour renseigner les données train, engager ou désengager l’ATO par exemple),
  • Le train, par le biais de son système de contrôle-commande, le TCMS (Train Control & Monitoring System). C’est par cette interface que l’ATO envoie les commandes de traction et de freinage.

2.2 Les bénéfices apportés par le pilotage automatique

2.2.1 Par ici les économies !

L’ATO bord a un avantage : il « voit loin » grâce aux horaires et aux caractéristiques de la voie empruntée (pentes, rampes, courbes). Par ailleurs, l’ATO bord est configuré par la mission et le conducteur sur les caractéristiques du train (catégorie de train, longueur, masse). Avec toutes ces données, l’algorithme est capable de piloter très finement la traction, et de profiter le plus possible de la marche sur l’erre. La marche sur l’erre, c’est rouler sans traction, uniquement avec l’inertie du train, et cela fait faire des économies !

Un autre gisement d’économies réside dans l’usure du matériel roulant. Par une conduite optimisée et durable, l’ATO peut réduire l’usure du train, et ainsi réduire les frais de maintenance.

Dans une présentation donnée à l’Agence Européenne du Rail en 2017, deux exemples mettent en lumière des réductions possibles de consommation d’énergie, par uniformisation des profils de conduite avec l’ATO sur une flotte de trains :

  • En intercités, cela permettrait jusqu’à 15% d’économies potentielles,
  • En suburbain, cela permettrait jusqu’à 42% d’économies potentielles.

2.2.2 Le gain de capacité d’une ligne

Si l’ensemble des trains d’une ligne donnée est équipé d’ATO, et qu’ils sont tous engagés, alors la manière de conduire de la flotte de trains est homogène. Ainsi, il n’existe plus de disparités dans la manière de conduire les trains, et la dispersion horaire dans le schéma d’exécution est réduite.

De plus, l’ATO peut conduire au plus près des limitations de l’ATP, et bien plus finement qu’en conduite manuelle.

La combinaison de ces deux facteurs libère des capacités supplémentaires sur une ligne, qui peuvent être utilisées en injectant davantage de trains dans la table horaire.

Note : le type d’ATP et les principes de gestion d’espacement sous-jacents sont un facteur supplémentaire de gains de capacités, dont l’ATO tire pleinement partie. Pour plus de détails, voir cette section de l’article ERTMS/ETCS.

2.2.3 La réactivité dans l’exploitation

L’interface numérique entre l’ATO et le TMS permet à l’exploitation d’être très réactive (et même proactive), en cas de perturbations sur le réseau.

En effet, le TMS connaît la table horaire théorique à exécuter. Il connait par ailleurs le statut de tous les ATO qu’il supervise, grâce au statut envoyé périodiquement par l’ATO vers le TMS.

Avec ces informations, le TMS peut identifier de potentielles perturbations à venir sur le réseau, si un train est en avance ou bien en retard sur son horaire (via l’information du statut ATO). Ainsi, les superviseurs, aidés du TMS, peuvent optimiser en temps-réel l’exploitation de la ligne, en envoyant des mises à jour de missions aux ATO concernés.

Le duo ATO-TMS est un exemple emblématique des gains en réactivité d’exploitation offerts par l’informatisation, la numérisation et l’automatisation du système ferroviaire.

2.3 Le GoA2 : les débuts avec le métro

2.3.1 Historique

L’ATO a un historique important dans le monde du métro. Les premiers métros ont été équipés du pilotage automatique dès les années 1960.

A cette époque, les systèmes étaient analogiques. Le métro tractionnait et freinait automatiquement selon un profil de conduite enregistré à l’avance dans des tapis au sol. C’était le principe utilisé par le système PA 135 de la RATP. A noter qu’en 1979, 90% du réseau de métro parisien était équipé du pilotage automatique. [4]

2.3.2 Le CBTC

Les systèmes analogiques ont été progressivement rendus obsolètes par l’arrivée de solutions numériques dans les années 1990. Le système utilisé majoritairement aujourd’hui par les métros s’appelle CBTC (Communication based train control). C’est un système intégré, avec un lien radio permanent entre le métro et les installations au sol. Il propose la fonction d’ATP, d’ATO, ainsi que la fonction de supervision et de gestion du trafic (TMS). Les systèmes de signalisation fondamentaux comme les enclenchements et la détection des trains peuvent faire partie du CBTC.

Le CBTC est la plupart du temps un système intégré, où le même industriel procure ATP, ATO et TMS. Un système intégré offre l’avantage à l’industriel de maîtriser la conception de sa solution globale, et d’effectuer les arbitrages techniques nécessaires, pour que l’ensemble du système atteigne les performances requises.

En revanche, un système intégré est par définition un système propriétaire. En conséquence, l’opérateur et l’infrastructure se retrouvent dépendants de l’industriel ayant procuré la solution de CBTC. Il s’agit de vendor lock-in.

Dans le cadre d’une ligne de métro, cela ne pose pas nécessairement de difficultés. En effet, la ligne de métro étant un périmètre bien délimité, avec un matériel roulant affecté à cette ligne, un système intégré fait sens : la priorité va à la performance. Et dans le contexte du métro, la performance est l’intervalle entre deux métros, permettant un nombre élevé de passagers par heure et par sens (PPHPD).

En revanche, sur le réseau ferré national, mettre en place une solution propriétaire est impossible. En effet, l’ensemble des réseaux ferrés nationaux de l’Union, conformément à la Directive 797/2016, doivent tendre vers l’espace ferroviaire européen unique. Ainsi, sur le réseau ferré national, c’est l’interopérabilité la priorité.

Pour permettre aux citoyens de l’Union, aux opérateurs économiques ainsi qu’aux autorités compétentes de bénéficier pleinement des avantages découlant de la mise en place d’un espace ferroviaire européen unique, il y a lieu, en particulier, de favoriser l’interconnexion et l’interopérabilité des réseaux ferroviaires nationaux ainsi que l’accès à ces réseaux, et de mettre en œuvre toute mesure pouvant s’avérer nécessaire dans le domaine de l’harmonisation des normes techniques, comme prévu à l’article 171 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Union Européenne

Directive 797/2016

2.4 ERTMS/ATO : l’autopilote interopérable pour le train autonome

Nous l’avons vu, les ATP déployés entre 1970 et 2000 posent de sérieuses difficultés à traverser les frontières. Ainsi, l’ATP européen ERTMS/ETCS, remplacera la totalité des ATP nationaux dans les prochaines décennies.

Au cours de la décennie 2010, les industriels, opérateurs et l’UE ont posé sur le papier la conduite automatique compatible avec le système ETCS : ATO over ETCS. C’est un nouveau composant de l’écosystème ERTMS, et il se note aussi ERTMS/ATO. En 2022, le scope se limite à la traction et au freinage automatique, en présence du conducteur (GoA2).

Ces travaux se déroulent au sein d’un organe de l’Union Européenne appelé Europe’s Rail. C’est un partenariat public-privé, dont l’objectif est de spécifier les évolutions du matériel roulant et des systèmes de signalisation, pour rendre le réseau ferroviaire plus performant.

La spécification ATO over ETCS est intégrée en 2023 dans la Spécification Technique d’Interopérabilité – Contrôle Commande et Signalisation. Cela signifie concrètement, que tout opérateur souhaitant s’équiper d’un ATO pour le réseau grandes lignes, doit être en conformité avec cette spécification. Les industriels doivent proposer un système en accord avec la spécification. Cela évite tout système propriétaire, et chaque opérateur peut s’équiper auprès de l’industriel de son choix. De plus, le passage aux frontières ne pose aucun problème, puisque c’est le même système ERTMS/ATO applicable dans l’Union.

ATO over ETCS est une solution offrant un niveau d’autonomie GoA2 : l’automatisme gère la traction et le freinage de manière automatique, et le conducteur reste présent en cabine pour surveiller la voie et gérer la situation en cas d’aléa. Voyons plus en détail comment fonctionne ATO over ETCS.

En conduite manuelle, sur une ligne équipée du système de signalisation ETCS, le conducteur contrôle la traction et le freinage en respectant :

  • Les ordres de signalisation qui lui sont affichés en cabine par l’ETCS. Si le conducteur ne les respecte pas, l’ETCS applique le freinage d’urgence.
  • Les horaires, c’est-à-dire la mission opérationnelle à dérouler, afin que le train ne soit ni en avance, ni en retard.

En GoA2, on introduit ERTMS/ATO, avec une partie au sol et une partie à bord :

  • L’ATO sol agit comme une boîte aux lettres en attribuant à un ATO bord la mission qu’il doit réaliser (les horaires). L’ATO sol récupère la mission auprès du système d’information du Gestionnaire d’Infrastructure (SNCF Réseau en France), et plus particulièrement de son système de gestion de trafic. L’information envoyée à l’ATO bord transite par l’interface sol-bord standardisée, qui utilise le réseau mobile grand public 2G/3G/4G, ou bien le réseau mobile ferroviaire GSM-R/FRMCS.
  • L’ATO bord, qui gère automatiquement la traction et le freinage tout en :
    • Respectant les ordres de signalisation provenant de l’ETCS. Si l’ATO ne respecte pas les ordres, l’ETCS applique le freinage d’urgence comme avec un conducteur.
    • Respectant les horaires de la mission envoyée par l’ATO sol.

Et la sécurité dans tout ça ?

Tout comme en conduite manuelle, où le conducteur est supervisé par le système de protection ETCS, l’ATO est supervisé par l’ETCS en cas d’erreur. Si l’ATO ne respecte pas les ordres de signalisation de l’ETCS (vitesse limite, franchissement d’un signal fermé), alors l’ETCS sanctionne par l’application du freinage d’urgence.

L’interaction entre les systèmes ETCS, ATO, et le matériel roulant, est possible grâce à des interfaces qui ont été définies dans le groupe de travail européen : ce sont les SUBSETS. Ces interfaces sont présentées en détail dans l’article ERTMS/ATO : l’autopilote interopérable des trains.

ERTMS/ATO : l’autopilote interopérable des trains

Chapitre 3

Les niveaux GoA3 et GoA4 : vers le train autonome

3.1 Prochaines étapes

La prochaine étape pour le système ERTMS/ATO est d’aller du niveau d’autonomie GoA2 vers les niveaux GoA3 et GoA4. Les travaux de spécification ont commencé en 2019, au sein du projet Shift2Rail X2RAIL-4, et se sont terminés en décembre 2023, avec la publication d’un premier document. Les travaux de spécification, prototypage et démonstration se poursuivent dorénavant au sein du projet R2DATO. Ces résultats alimenteront l’activité de standardisation du Pilier Système, afin de mettre à jour les Spécifications Technique d’Interopérabilité en conséquence.

Le passage de GoA2 vers GoA3/4 ouvre des problématiques complexes : perception de l’environnement, détection des aléas, prises de décisions en fonction des aléas. De nouvelles technologies sont requises :

  • Vision par ordinateur (computer vision),
  • Localisation absolue aidée par satellites et centrales inertielles,
  • Prise de décision automatisée.
Les défis du GoA34

Train autonome : du GoA2 au GoA4

3.2 Le train autonome : un élément parmi un tout

Au délà des défis posés au train autonome que sont la compatiblité avec le système de signalisation (ERTMS/ETCS ou signalisation latérale) et le passage du GoA2 au GoA3-GoA4, il faut comprendre que le train autonome ne sera jamais performant à lui seul. Car il s’insère dans un système beaucoup plus vaste et complexe : le système ferroviaire.

L’augmentation de la capacité, de la robustesse, et de la flexibilité du réseau ferré, passe par un investissement massif dans la rénovation et la modernisation de l’infrastructure (on peut entendre parfois le terme de digitalisation du système ferroviaire). Comme le rappelle très bien Frédéric de Kemmeter dans son article, le train intelligent n’existe pas sans infrastructures !

Le projet allemand Digitale Schiene Deutschland (DSD) a pour ambition de fortement moderniser et numériser le réseau ferré allemand, avec une approche système. La conduite automatique est considérée comme un élément parmi d’autres pour contribuer à l’augmentation des performances du réseau. Elle figure aux côtés de l’IA utilisée en centres de contrôle pour la résolution rapide de disruptions, de systèmes d’enclenchement numériques, de dispositifs de localisation embarqués dans les trains et de la cartographie du réseau, de la 5G ferroviaire (FRMCS), ou encore de capteurs pour la surveillance des infrastructures. [24]

Locomotive Train de Fret Autonome

Locomotive BB27000 du projet Train de Fret Autonome. Crédit : Bastian Simoni.

Conclusion

Après plus de 40 ans d’utilisation dans le monde urbain, la conduite automatique avec ERTMS/ATO fait ses débuts sur le réseau grandes lignes, couplée au système de signalisation européen ERTMS/ETCS.

Les spécifications du système ERTMS/ATO sont intégrées à la révision 2023 de la Spécification Technique d’Interopérabilité Contrôle-Commande Signalisation. Le travail pour aller jusqu’au niveau GoA4 est en cours, pour une publication d’ici 2030.

La décarbonation, pour respecter les Accords de Paris, nécessitera un important report modal de l’avion vers le rail pour les passagers, et de la route vers le rail pour le fret. Les solutions numériques de signalisation comme l’ERTMS/ETCS et la conduite automatique ERTMS/ATO permettent d’augmenter la capacité des réseaux existants.

La crise énergétique de 2022, particulièrement impactante pour le ferroviaire, risque de diminuer sa compétitivité et son attractivité pour le fret et les passagers. C’est le risque d’un coup de frein au report modal. Les économies d’énergie offertes par le système ERTMS/ATO sont un atout fondamental.

Pour autant, on comprend que la conduite automatique, et plus généralement le train autonome, sont des éléments parmi un tout. Un sursaut significatif de performances n’est possible qu’avec des infrastructures modernisées et numérisées. Ainsi, la gestion du trafic (via la Commande Centralisée du Réseau en France), le remplacement des postes d’aiguillages obsolètes par des Postes d’Aiguillages Informatisés (PAI), et la suppression des ATP nationaux au profit d’ERTMS/ETCS, sont des conditions de succès indéniables, pour faire du rail le mode de transport de référence de demain.

Article suivant : le système ERTMS/ATO

Crédit photo de couverture : Bastian Simoni.

References :

[1] https://cms.uitp.org/wp/wp-content/uploads/2020/06/Statistics-Brief-Metro-automation_final_web03.pdf

[2] https://www.azd.cz/en/other-information/system-solution

[3] https://uic.org/com/enews/nr/609/article/china-china-railway-starts-intelligent-railway-ato-automatic-train-operation?page=modal_enews

[4] https://www.hitachi.com/rev/archive/2020/r2020_06/pdf/06a05.pdf

[5] https://projects.shift2rail.org/download.aspx?id=ae221381-f5e9-4455-afe1-f9b5e6f0d616

[6] https://www.alstom.com/press-releases-news/2020/12/sncf-and-its-partners-run-first-semi-autonomous-train-national-railway

[7] https://cms.uitp.org/wp/wp-content/uploads/2020/06/Statistics-Brief-Metro-automation_final_web03.pdf

[8] https://securite-ferroviaire.fr/la-securite-ferroviaire/comprendre-la-securite-ferroviaire

[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crocodile_(signalisation_ferroviaire)

[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Punktf%C3%B6rmige_Zugbeeinflussung

[11] https://www.ratp.fr/sites/default/files/inline-files/DP%20-%20le%20groupe%20RATP%20leader%20mondial%20du%20m%C3%A9tro%20automatique.pdf

[12] https://www.sncf-reseau.com/fr/entreprise/newsroom/sujet/reseau-ligne-paris-lyon-projet-pilote-haute-performance

[13] https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/03/Pouvoir-voler-en-2050_Shift-Project_Synthese.pdf

[14] https://www.theguardian.com/business/2021/apr/12/france-ban-some-domestic-flights-train-available-macron-climate-convention-mps

[15] https://www.alstom.com/press-releases-news/2020/12/sncf-and-its-partners-run-first-semi-autonomous-train-national-railway

[16] https://projects.shift2rail.org/download.aspx?id=30ead5e4-21a6-4a7e-96c5-53a06be3363c

[17] https://projects.shift2rail.org/download.aspx?id=30ead5e4-21a6-4a7e-96c5-53a06be3363c

[18] https://www.deutschebahn.com/resource/blob/3183678/a276f2c3ef8c9de0112c408355d141f0/TD-Digitale-S-Bahn-Hamburg-data.pdf

[19] https://www.thameslinkprogramme.co.uk/learning-legacy/new-trains-technology/ato/

[20] https://www.alstom.com/press-releases-news/2019/9/new-step-forward-paris-lyon-high-speed-line-alstoms-digital-signalling

[21] https://www.sncf-reseau.com/fr/entreprise/newsroom/sujet/reseau-ligne-paris-lyon-projet-pilote-haute-performance

[22] https://medias.sncf.com/sncfcom/newsroom/pdf/SNCF_Pres_Conference_Presse_ATO_10SEPT.004.jpeg

[23] https://cordis.europa.eu/project/id/101014984/fr

[24] https://digitale-schiene-deutschland.de/en