Le train autonome, est un train dont la traction et le freinage sont gérés par un autopilote, qui respecte les ordres de la signalisation et les horaires du déplacement, tout en optimisant la consommation d’énergie. Le pilotage automatique peut se faire en présence d’un conducteur, ou non, comme dans les métros sans personnel à bord.
Alors que l’exploitation de métros sans personnel à bord se fait depuis plus de 30 ans, qu’en est-il pour les trains de Grandes Lignes ? En quoi un train autonome est-il différent d’un métro automatique ? Quels sont les différents degrés d’automatisation ? Les réponses dans cet article !
Dernière mise à jour : 05/02/2023.
Introduction
La conduite automatique dans le ferroviaire n’est pas un sujet nouveau : elle apparaît dès les années 1960 dans le monde du métro. Alors que le jalon des 1000 km de métros automatiques a été dépassé en Mars 2018 [1], l’automatisation de trains grandes lignes est presque inexistante à ce jour.
En 2021, certains trains de République Tchèque fonctionnent en autonomie partielle en présence d’un conducteur. La technologie est basée sur le système de signalisation national Tchèque [2]. Parallèlement, la Chine expérimente la conduite automatique à grande vitesse (250 km/h) sur certains trains [3].
Le premier train autonome au monde a été développé par Hitachi Rail pour l’entreprise minière Rio Tinto, c’est AutoHaul [4]. Ce train achemine sans personnel à bord, les tonnes de minerais extraits des mines australiennes jusqu’aux ports maritimes, pour leur expédition.
En Europe, le train autonome fait l’objet d’expérimentations [5][6], ainsi que d’une spécification standard par les opérateurs et industriels, sponsorisée par l’Union Européenne.
Dans cet article, je vais vous conduire dans le monde du pilotage automatique ferroviaire, afin de comprendre ce qui se cache derrière le Train Autonome.
Vous avez dit ATO ?
ATO est le terme de la filière ferroviaire pour designer les systèmes de conduite automatique ferroviaire, aussi bien dans le monde du métro que des grandes lignes. L’acronyme signifie Automatic Train Operation, soit Operation Automatique du Train. Derrière tout train autonome, se cache donc un système ATO !
Le système ATO fonctionne en lien avec autre système, appelé ATP (Automatic Train Protection). L’ATP est le système de protection du train : il surveille à tout instant le bon respect des limitations de vitesse, et le non-franchissement des signaux fermés. Que ce soit un conducteur ou bien un pilotage automatique, si le train roule trop vite, ou bien qu’il franchit un signal fermé, alors l’ATP applique immédiatement le freinage d’urgence.
Plusieurs degrés d’automatisation sont possibles dans le ferroviaire. Une définition proposée est le Grade of Automation (GoA) : allant de GoA0 (conduite à vue) à GoA4 (aucun personnel à bord).
Le degré d’automatisation des trains
Les technologies de signalisation et automatismes ferroviaires offrent différents degrés d’automatisation de l’exploitation des trains. Une définition proposée par l’UITP (Union Internationale des Transports Publics) [7] est le Grade of Automation (GoA), de 0 à 4.
- GoA0 : conduite à vue,
- En conduite à vue, le conducteur tractionne et freine le train selon ce qu’il voit dans l’environnement (signaux, obstacles, dangers). Aucun dispositif n’est là pour superviser sa conduite. La marche à vue est couramment utilisée pour le tramway, où les vitesses restent faibles.
- GoA1 : conduite supervisée par un ATP,
- Le GoA1 apporte un premier niveau d’automatismes, car la conduite est supervisée par un système de protection (ATP – Automatic Train Protection).
- Un ATP peut protéger le train contre le franchissement de signaux fermés, ou le dépassement d’une vitesse limite, en appliquant automatiquement le freinage d’urgence.
- GoA2 : traction et le freinage automatisés,
- Dans ce niveau, un ATO génère les consignes de traction et de freinage et les envoie vers le train, à la place du conducteur.
- L’ATO génère ces consignes selon les limites de signalisation fournies par l’ATP, tout en respectant les horaires de la mission à réaliser. L’ATP continue sa supervision, et applique automatiquement le freinage d’urgence si l’automatisme ne respecte pas la signalisation.
- Le conducteur reste en cabine et continue d’observer l’environnement, afin de reprendre la main en cas de situation dégradée.
- GoA3 : train autonome, avec du personnel à bord,
- En GoA3, il n’y a plus de conducteur en cabine. Les aléas de l’environnement (obstacles, dangers) doivent être adressés par d’autres moyens.
- Du personnel reste à bord pour conseiller les passagers, et intervenir en cas d’aléas.
- GoA4 : train autonome, sans personnel à bord,
- Il s’agit du niveau d’automatisation le plus avancé, dans lequel il n’y a pas de personnel à bord du train.
- C’est le degré d’automatisation du métro de la ligne 14 à Paris par exemple.

Niveaux d’autonomie selon SNCF. Crédit : SNCF.
Le GoA1 : l’apparition des automatismes
Le besoin : protéger la circulation des trains
Les circulations ferroviaires présentent cinq types de dangers, selon l’EPSF (Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire) :
- le déraillement : incident ou accident dans lequel un véhicule ferroviaire sort des rails, totalement ou partiellement et dont l’origine peut être diverse (avarie sur le matériel roulant ou l’infrastructure, vitesse excessive, etc.)
- le nez à nez : collision frontale entre deux trains ;
- le rattrapage : collision par l’arrière lorsqu’un train percute un autre train qui se trouve devant lui ;
- la prise en écharpe : collision latérale entre deux trains qui se produit à une intersection ou à une jonction de voies ;
- la collision avec un obstacle (éboulement sur la voie, véhicule routier présent sur un passage à niveau, etc.). [8]
Afin de pallier certains de ces dangers, les exploitants ferroviaires ont mis en place des solutions, comme les signaux implantés le long des voies, que le conducteur doit respecter. Sauf que cela ne suffit pas.
En GoA0, c’est à dire en conduite à vue, la vigilance du conducteur n’est pas assurée en permanence. C’est ainsi que des automatismes ont été inventés : c’est le début du GoA1.
Les exploitants ont commencé à mettre en place des dispositifs de rattrapage, comme le crocodile en France, inventé en 1872. [9] Le crocodile est un équipement posé au pied de chaque signal, qui alerte le conducteur par un BIP sonore en cabine, si le signal présente un aspect fermé. Le conducteur a alors quelques secondes pour acquitter l’information, par appui sur un bouton. En l’absence d’acquittement dans le temps imparti, le train s’arrête automatiquement.
Le système allemand PZB, dont la première version a été mise au point dans les années 1930, équipe en 2019 32 398 km du réseau fédéral. [10] Ce dispositif a trois fonctions : sanctionner le franchissement de signaux fermés, surveiller le non dépassement d’une vitesse maximale sur une section de voie, et surveiller l’acquittement par le conducteur du franchissement de signaux d’avertissement. Le PZB fait partie des systèmes de protection du train : les systèmes ATP (Automatic Train Protection).
En France, le crocodile n’est pas suffisant pour éviter des accidents ferroviaires. Durant les années 1980, SNCF décide d’équiper ses trains d’un système de protection contre la survitesse et le franchissement de signaux de protection (menant vers une aiguille) : c’est le KVB. Le contrôle de vitesse par balises (KVB) est un équipement obligatoire sur un train, afin que celui-ci puisse circuler sur le réseau Français.

Calculateur embarqué UEVAL (Unité d’EVALuation) du système de contrôle de vitesse par balises (KVB).
Crédit : Bastian SIMONI
Les différents ATP et la problématique de l’interopérabilité
Entre 1970 et 2000, les pays européens ont souhaité s’équiper de systèmes ATP permettant de diminuer les accidents sur le réseau ferré. Pour rappel, l’ATP applique le freinage d’urgence du train, dès que le conducteur dépasse la vitesse limite, ou bien lorsqu’il dépasse un signal fermé. A cette époque, chaque pays a fait appel à son industrie nationale pour s’équiper : cela a conduit à une multitude de systèmes nationaux propriétaires et incompatibles entre-eux.
Or pour qu’un train puisse passer une frontière d’un réseau à l’autre, il doit être équipé de la totalité des systèmes de signalisation requis ! C’est ainsi que le Thalys est équipé de 7 systèmes ATP embarqués, augmentant les coûts et besoins de conducteurs formés à leur utilisation.
Tous ces systèmes embarqués consomment de l’espace à l’intérieur du train (armoires informatiques, capteurs et antennes sous caisse). Le conducteur doit être formé à leur utilisation, rendant son travail plus complexe. Enfin, équiper un train avec tous ces systèmes représente un coût important, tant à l’achat qu’en maintenance.
Les systèmes nationaux complexifient grandement l’interopérabilité ferroviaire en Union Européenne. L’idée de remplacer ces systèmes par un unique système de signalisation en Europe a émergé à la fin des années 1980, pour donner naissance à l’ERTMS : European Rail Traffic Management System.
En 2022, les systèmes nationaux sont obsolètes : ils sont nommés systèmes legacy (hérités) ou encore systèmes de classe B dans la nomenclature de l’Union Européenne. Les systèmes de classe B doivent être remplacés par l’ERTMS à terme.

Rame Thalys de type PBKA, capable de traverser 4 pays et équipée de 7 systèmes de signalisation embarqués – Par Mauritsvink — Travail personnel, CC BY 3.0
ERTMS/ETCS : la signalisation ferroviaire interopérable
Le GoA2 : la traction et le freinage automatisés
Pourquoi du pilotage automatique ?
Partout dans le monde, l’urbanisation s’accroît, et avec elle le besoin de mobilité. Pour répondre à ces besoins, les opérateurs et autorités organisatrices de transport ont plusieurs choix possibles :
– Construire de nouvelles lignes de métro/tramway/RER
– Augmenter la capacité des lignes actuelles
Construire de nouvelles infrastructures peut s’avérer complexe et coûteux. C’est une solution pour le long terme, qui ne permet pas de répondre rapidement à une saturation. La seconde option, consiste en une remise à niveau de l’infrastructure, reposant sur une re-signalisation. C’est par exemple ce qui a été réalisé sur la ligne 1 du métro parisien, la plus ancienne du réseau : un système de signalisation de dernière génération (CBTC) a été installé, avec l’option ATO en niveau GoA4 (sans personnel à bord). Cette solution a offert un gain en capacité en permettant d’aller jusqu’à un métro toutes les 90 secondes en période de pointe, alors que la ligne est centenaire !
La conduite automatique figure donc parmi les pistes pertinentes pour répondre aux besoins de mobilité en zone urbanisée.

Sur le réseau grandes lignes, l’augmentation des capacités sur certaines portions du réseau devient un sujet important. En effet, certains tronçons sont aujourd’hui saturés. Le remplacement des ATP par le système ERTMS/ETCS, combiné à la conduite automatique, permet des gains de capacité.
C’est cette approche qui a été retenue par SNCF RESEAU sur la ligne à grande vitesse Paris-Lyon, avec le projet HPGVSE (Haute Performance Grande Vitesse Sud Est). Le projet consiste à déposer le système ATP actuel, la TVM 300 développée dans les années 1970, et à le remplacer par le système de signalisation européen ERTMS/ETCS. Ces travaux, combinés à un renforcement de la ligne (notamment les équipements électriques) permettront de passer à 16-18 TGV/heure contre 13 TGV/heure aujourd’hui [12]. L’utilisation de l’ATO en niveau GoA2 sur les futures rames TGV M entre Paris et Lyon permettra encore des gains de capacité, par une conduite uniforme entre les rames.
La lutte contre le réchauffement climatique impose une très forte baisse des émissions de CO2 dans tous les secteurs, notamment le transport. Des publications proposent la suppression de connexions aériennes lorsque l’alternative existe en moins de 4:30 en train [13]. La France a pour sa part déjà banni les vols intérieurs pour lesquels l’alternative ferroviaire existe en moins de 2:30 [14].
Ce report modal de l’avion vers le train sera un succès, si l’infrastructure permet effectivement de l’absorber. Pour cela, une modernisation du réseau ferré avec les systèmes de signalisation actuels, combinés à la conduite automatique, est une piste pertinente.
Les débuts : le pilotage automatique du métro
L’ATO a un historique important dans le monde du transport urbain (notamment métro et RER). Les premiers métros ont été équipés de la conduite automatique GoA2 dès les années 1960.
A cette époque, les systèmes étaient analogiques. Le métro tractionnait et freinait automatiquement selon un profil de conduite enregistré à l’avance dans des tapis au sol. C’était le principe utilisé par le système PA 135 de la RATP. A noter qu’en 1979, 90% du réseau de métro parisien était équipé du pilotage automatique [11].
Les systèmes analogiques ont été progressivement rendus obsolètes par l’arrivée de solutions numériques dans les années 1990. Le système utilisé majoritairement aujourd’hui par les métros et certains RER s’appelle CBTC (Communication based train control). C’est un système de signalisation avec un lien radio permanent entre le métro et les installations au sol. Il propose la fonction d’ATP (protection) et d’ATO (conduite automatique), ainsi que la fonction de supervision globale, appelée ATS (Automatic Train Supervision).
Un inconvénient du CBTC, est qu’il n’est pas standardisé : chaque industriel a sa propre solution. Cela ne pose pas forcément de difficultés pour une ligne de métro, un système fermé où circule le plus souvent un même type de train. En revanche, pour le réseau grandes lignes, où circulent des trains régionaux, de fret ou encore TGV, une solution propriétaire est rédhibitoire.
Le train autonome, quelle différence avec le métro automatique?
Pour le métro ou le RER qui sont des systèmes relativement fermés (même type de rame, système de signalisation unifié), la conduite automatique a été simple à mettre en place ces dernières décennies. Le CBTC, solution propriétaire, répond parfaitement au besoin.
En revanche, le monde du train grandes lignes est bien différent du monde urbain ! Les trains y sont hétérogènes (TGV, TER, RER, fret), le réseau ferré est connecté à ses voisins internationaux et il n’est pas protégé des intrusions comme une ligne équipée de portes palières.
Exploiter un train autonome sur le réseau grandes lignes pose un certain nombre de défis bien différents du métro automatique.

ERTMS/ATO : l’autopilote interopérable pour le train autonome
Nous l’avons vu, les ATP déployés entre 1970 et 2000 posent de sérieuses difficultés à traverser les frontières. Que le train soit autonome ou non, le sujet de simplification et d’uniformisation de la signalisation sur le continent européen s’impose.
Pour cela, les opérateurs, industriels et l’UE ont décidé dans les années 1990 de spécifier un nouveau système de signalisation, dont l’objectif est de remplacer la totalité des systèmes nationaux.

Ce nouveau système est l’ERTMS/ETCS (European Rail Traffic Management System / European Train Control System), le système de contrôle des trains, européen et interopérable. Mais contrairement au CBTC, qui d’emblée proposait la conduite automatique, l’ERTMS/ETCS lui n’avait pas prévu cette option !
C’est au cours de la décennie 2010, que les industriels, opérateurs et l’UE ont posé sur le papier la conduite automatique compatible avec le système ETCS : ATO over ETCS. C’est un nouveau composant de l’écosystème ERTMS, et il se note aussi ERTMS/ATO. En 2022, le scope se limite à la traction et au freinage automatique, en présence du conducteur (GoA2).
Ces travaux se déroulent au sein d’un organe de l’Union Européenne appelé Europe’s Rail. C’est un partenariat public-privé, dont l’objectif est de spécifier les évolutions du matériel roulant et des systèmes de signalisation, pour rendre le réseau ferroviaire plus performant.
La spécification ATO over ETCS est intégrée en 2022 dans une norme européenne, la Spécification Technique d’Interopérabilité – Contrôle Commande et Signalisation. Cela signifie concrètement, que tout opérateur souhaitant s’équiper d’un ATO pour le réseau grandes lignes devra être en conformité avec cette norme. Les industriels devront proposer un système en accord avec la norme. Cela évitera tout système propriétaire, et chaque opérateur pourra s’équiper auprès de l’industriel de son choix. De plus, le passage aux frontières ne posera aucun problème, puisque ce sera le même système ERTMS/ATO dans les différents pays européens (on parle d’interopérabilité).
ATO over ETCS est une solution offrant un niveau d’autonomie GoA2 : l’automatisme gère la traction et le freinage de manière automatique, et le conducteur reste présent en cabine pour surveiller la voie et gérer la situation en cas d’aléa. Voyons plus en détail comment fonctionne ATO over ETCS.
En conduite manuelle, sur une ligne équipée du système de signalisation ETCS, le conducteur contrôle la traction et le freinage en respectant :
- Les ordres de signalisation qui lui sont affichés en cabine par l’ETCS. Si le conducteur ne les respecte pas, l’ETCS applique le freinage d’urgence.
- Les horaires, c’est-à-dire la mission opérationnelle à dérouler, afin que le train ne soit ni en avance, ni en retard.

En GoA2, on introduit ERTMS/ATO, avec une partie au sol et une partie à bord :
- L’ATO sol agit comme une boîte aux lettres en attribuant à un ATO bord la mission qu’il doit réaliser (les horaires). L’ATO sol récupère la mission auprès du système d’information du Gestionnaire d’Infrastructure (SNCF Réseau en France), et plus particulièrement de son système de gestion de trafic. L’information envoyée à l’ATO bord transite par l’interface SUBSET 126, qui utilise le réseau mobile grand public 2G/3G/4G, ou bien le réseau mobile ferroviaire GSM-R.
- L’ATO bord, qui gère automatiquement la traction et le freinage tout en :
- Respectant les ordres de signalisation provenant de l’ETCS. ATO et ETCS sont reliés par une interface, le SUBSET 130, pour cet échange d’informations. Si l’ATO ne respecte pas les ordres, l’ETCS applique le freinage d’urgence comme avec un conducteur.
- Optimisant la traction et le freinage, afin de réaliser des économies d’énergie, tout en respectant les horaires de la mission envoyée par l’ATO sol. L’ATO bord est connecté au système de contrôle-commande du matériel roulant, afin de lui envoyer les ordres de traction et de freinage, c’est l’interface SUBSET 139.

Comment l’ATO peut-il permettre de faire des économies d’énergie ?
L’ATO a un avantage : il « voit loin ». Lorsque l’ATO sol confie une mission à un ATO bord, il lui transmet la mission, c’est-à-dire la table avec les horaires des points de passage et d’arrêt, c’est le Journey Profile. Il lui transmet également les caractéristiques de la voie empruntée (pentes, rampes, courbes), c’est le Segment Profile. Enfin, l’ATO est configuré par la mission et le conducteur sur les caractéristiques du train (catégorie de train, longueur, masse). Avec toutes ces données, l’algorithme est capable de piloter très finement la traction, d’éviter les freinages brusques, et de profiter le plus possible de la marche sur l’erre. La marche sur l’erre, c’est rouler sans traction, uniquement avec l’inertie du train, et cela fait faire des économies !
Dans une présentation donnée à l’Agence Européenne du Rail en 2017, deux exemples mettent en lumière des réductions possibles de consommation d’énergie, par uniformisation des profils de conduite avec la solution ATO over ETCS sur une flotte de trains :
- En intercités, cela permettrait jusqu’à 15% d’économies potentielles,
- En suburbain, cela permettrait jusqu’à 42% d’économies potentielles.
Dans un contexte energétique tendu (2022), où le prix des combustibles et de l’électricité deviennent significatifs, maintenir la compétitivité du ferroviaire pour le fret et les passagers est indispensable. Les gains de consommation d’énergie offerts par ERTMS/ATO font de ce système une solution crédible au problème de l’énergie.

Et la sécurité dans tout ça ?
Tout comme en conduite manuelle, où le conducteur est supervisé par le système de protection ETCS, l’ATO est supervisé par l’ETCS en cas d’erreur. Si l’ATO ne respecte pas les ordres de signalisation de l’ETCS (vitesse limite, franchissement d’un signal fermé), alors l’ETCS sanctionne par l’application du freinage d’urgence.
L’interaction entre les systèmes ETCS, ATO, et le matériel roulant, est possible grâce à des interfaces qui ont été définies dans le groupe de travail européen : ce sont les SUBSETS. Ces interfaces sont présentées en détail dans l’article Le système ATO over ETCS.
Le système ATO over ETCS
Parallèlement aux travaux européens de spécification, ATO over ETCS a déjà été développé et testé par quelques projets :
– France : Train de Fret Autonome [15]
– Royaume-Uni : Network Rail Class 313 [16]
– Suisse : ARCC [17]
Ces essais ont offert du retour d’expérience aux opérateurs et industriels, permettant d’intégrer dans les spécifications les éléments provenant du terrain.
Prochaines étapes et défis du GoA2
La spécification du système ERTMS/ATO (GoA2) a été finalisée et publiée en 2022 dans une Spécification Technique d’Interopérabilité. Certains projets commerciaux sont déjà en route, comme par exemple :
- Digitale S-Bahn Hamburg [18]
- Thameslink [19]
Des projets de grande envergure comme la re-signalisation de la LGV Paris-Lyon vont utiliser ERTMS/ATO afin de répondre à l’augmentation de la demande [20][21][22].
Bien que des projets soient déjà lancés, certaines problématiques restent encore à adresser :
- L’ergonomie de conduite pour le conducteur, avec la présence de ce nouveau système,
- Les styles de conduite (driving styles), la traction et le freinage devant être adaptés selon la nature du train (passagers ou fret, automotrice indéformable ou bien locomotive avec voitures/wagons, typologie de marchandise fret).
La contrainte la plus importante du système ERTMS/ATO, est qu’il nécessite d’avoir le système de signalisation ERTMS/ETCS d’installé sur la ligne. Or en France, hormis les lignes à grande vitesse ouvertes après 2007, et quelques axes internationaux de fret, le réseau ferré n’en est pas équipé ! Car déployer de l’ERTMS/ETCS demande du temps et des moyens, et les Etats de l’Union ne partagent pas tous la même politique en terme de moyens accordés au réseau ferré.
Pour adresser cette problématique, l’Union a ouvert un groupe de travail : Technologies Supporting Migration to ATO over ETCS [23]. Son objectif est d’explorer la possibilité de faire fonctionner le système ERTMS/ATO avec la signalisation latérale.
Faire fonctionner le système ERTMS/ATO uniquement avec la signalisation latérale fait partie des objectifs des projets français Train de Fret Autonome et Service Voyageurs, dans lesquels participent SNCF et Alstom.
ATO sous signalisation latérale
Les niveaux GoA3 et GoA4 : vers le train autonome
La prochaine étape pour le système ERTMS/ATO est d’aller du niveau d’autonomie GoA2 vers le niveau GoA3 (personne en cabine) / GoA4 (personne à bord). Les travaux de spécification ont commencé en 2019.
Le passage de GoA2 vers GoA34 ouvre des problématiques complexes : perception de l’environnement, détection des aléas, prises de décisions en fonction des aléas. Des problématiques également adressées dans les projets français Train de Fret Autonome et Service Voyageurs.

Train autonome : du GoA2 au GoA4
Le train autonome : un élément parmi un tout
Au délà des défis posés au train autonome que sont la compatiblité avec le système de signalisation (ERTMS/ETCS ou signalisation latérale) et le passage du GoA2 au GoA3-GoA4, il faut comprendre que le train autonome ne sera jamais performant à lui seul. Car il s’insère dans un système beaucoup plus vaste et complexe : le système ferroviaire.
L’augmentation de la capacité, de la robustesse, et de la flexibilité du réseau ferré, passe par un investissement massif dans la rénovation et la modernisation de l’infrastructure (on peut entendre parfois le terme de digitalisation du système ferroviaire). Comme le rappelle très bien Frédéric de Kemmeter dans son article, le train intelligent n’existe pas sans infrastructures !
Le projet allemand Digitale Schiene Deutschland (DSD) a pour ambition de fortement moderniser et numériser le réseau ferré allemand, avec une approche système. La conduite automatique est considérée comme un élément parmi d’autres pour contribuer à l’augmentation des performances du réseau. Elle figure aux côtés de l’IA utilisée en centres de contrôle pour la résolution rapide de disruptions, de systèmes d’enclenchement numériques, de dispositifs de localisation embarqués dans les trains et de la cartographie du réseau, de la 5G ferroviaire (FRMCS), ou encore de capteurs pour la surveillance des infrastructures. [24]

Locomotive BB27000 du projet Train de Fret Autonome. Crédit : Bastian Simoni.
Les projets de train autonome
Conclusion
Après plus de 40 ans d’utilisation dans le monde urbain, la conduite automatique avec ERTMS/ATO fait ses débuts sur le réseau grandes lignes, couplée au système de signalisation européen ERTMS/ETCS.
Les spécifications du système ERTMS/ATO sont intégrées à la révision 2022 de la Spécification Technique d’Interopérabilité Contrôle-Commande Signalisation. Le travail pour aller jusqu’au niveau GoA4 est en cours, pour une publication d’ici 2030.
La décarbonation, pour respecter les Accords de Paris, nécessitera un important report modal de l’avion vers le rail pour les passagers, et de la route vers le rail pour le fret. Les solutions numériques de signalisation comme l’ERTMS/ETCS et la conduite automatique ERTMS/ATO permettent d’augmenter la capacité des réseaux existants.
La crise énergétique de 2022, particulièrement impactante pour le ferroviaire, risque de diminuer sa compétitivité et son attractivité pour le fret et les passagers. C’est le risque d’un coup de frein au report modal. Les économies d’énergie offertes par le système ERTMS/ATO sont un atout fondamental. Cela milite pour une adoption rapide et massive de la conduite automatique sur le réseau ferroviaire, qu’il soit équipé d’ERTMS/ETCS ou non.
Ainsi, l’utilisation du système ERTMS/ATO sous signalisation latérale, fait l’objet de recherches dans un groupe de travail qui rendra ses conclusions en 2023. Ceci permettra l’utilisation de la conduite automatique sur des lignes qui ne sont pas encore équipées du système de signalisation européen.
Article suivant : le système ATO over ETCS
Crédit photo de couverture : Bastian Simoni.
References :
[1] https://cms.uitp.org/wp/wp-content/uploads/2020/06/Statistics-Brief-Metro-automation_final_web03.pdf
[2] https://www.azd.cz/en/other-information/system-solution
[3] https://uic.org/com/enews/nr/609/article/china-china-railway-starts-intelligent-railway-ato-automatic-train-operation?page=modal_enews
[4] https://www.hitachi.com/rev/archive/2020/r2020_06/pdf/06a05.pdf
[5] https://projects.shift2rail.org/download.aspx?id=ae221381-f5e9-4455-afe1-f9b5e6f0d616
[6] https://www.alstom.com/press-releases-news/2020/12/sncf-and-its-partners-run-first-semi-autonomous-train-national-railway
[7] https://cms.uitp.org/wp/wp-content/uploads/2020/06/Statistics-Brief-Metro-automation_final_web03.pdf
[8] https://securite-ferroviaire.fr/la-securite-ferroviaire/comprendre-la-securite-ferroviaire
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crocodile_(signalisation_ferroviaire)
[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Punktf%C3%B6rmige_Zugbeeinflussung
[11] https://www.ratp.fr/sites/default/files/inline-files/DP%20-%20le%20groupe%20RATP%20leader%20mondial%20du%20m%C3%A9tro%20automatique.pdf
[12] https://www.sncf-reseau.com/fr/entreprise/newsroom/sujet/reseau-ligne-paris-lyon-projet-pilote-haute-performance
[13] https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/03/Pouvoir-voler-en-2050_Shift-Project_Synthese.pdf
[14] https://www.theguardian.com/business/2021/apr/12/france-ban-some-domestic-flights-train-available-macron-climate-convention-mps
[15] https://www.alstom.com/press-releases-news/2020/12/sncf-and-its-partners-run-first-semi-autonomous-train-national-railway
[16] https://projects.shift2rail.org/download.aspx?id=30ead5e4-21a6-4a7e-96c5-53a06be3363c
[17] https://projects.shift2rail.org/download.aspx?id=30ead5e4-21a6-4a7e-96c5-53a06be3363c
[18] https://www.deutschebahn.com/resource/blob/3183678/a276f2c3ef8c9de0112c408355d141f0/TD-Digitale-S-Bahn-Hamburg-data.pdf
[19] https://www.thameslinkprogramme.co.uk/learning-legacy/new-trains-technology/ato/
[20] https://www.alstom.com/press-releases-news/2019/9/new-step-forward-paris-lyon-high-speed-line-alstoms-digital-signalling
[21] https://www.sncf-reseau.com/fr/entreprise/newsroom/sujet/reseau-ligne-paris-lyon-projet-pilote-haute-performance
[22] https://medias.sncf.com/sncfcom/newsroom/pdf/SNCF_Pres_Conference_Presse_ATO_10SEPT.004.jpeg
[23] https://cordis.europa.eu/project/id/101014984/fr
[24] https://digitale-schiene-deutschland.de/en