Les circulations ferroviaires présentent 5 types de dangers : le déraillement, le nez à nez, le rattrapage, la prise en écharpe, et la collision avec un obstacle. L’humain n’étant pas infaillible, les opérateurs ont rapidement introduit des systèmes permettant de limiter certains de ces risques : ce sont les systèmes de protection automatique des trains, ou ATP (Automatic Train Protection).
Ces systèmes sont installés à la voie, ainsi qu’à bord des trains. Ils actionnent automatiquement le freinage, lorsque la circulation du train dépasse les limites autorisées par la signalisation, limitant ainsi des risques ferroviaires.
Après avoir rendu d’importants services ces dernières décennies, les ATP présentant maintenant des inconvénients à gérer. Ils deviennent obsolètes, ils ne permettent pas le passage aisé aux frontières, chaque pays s’étant doté de son propre système. C’est pourquoi un ATP européen a été conçu : ERTMS/ETCS, et il sera incontournable dans les prochaines années.
Dernière mise à jour : Décembre 2024.
Protection automatique des trains by Bastian Simoni is licensed under CC BY-NC-SA 4.0
1. Introduction
1.1 Les dangers ferroviaires
Les circulations ferroviaires présentent cinq types de dangers selon l’EPSF (Etablissement Public de Sécurité Ferroviaire) :
- le déraillement : incident ou accident dans lequel un véhicule ferroviaire sort des rails, totalement ou partiellement et dont l’origine peut être diverse (avarie sur le matériel roulant ou l’infrastructure, vitesse excessive, etc.) ;
- le nez à nez : collision frontale entre deux trains ;
- le rattrapage : collision par l’arrière lorsqu’un train percute un autre train qui se trouve devant lui ;
- la prise en écharpe : collision latérale entre deux trains qui se produit à une intersection ou à une jonction de voies ;
- la collision avec un obstacle (éboulement sur la voie, véhicule routier présent sur un passage à niveau, etc.). [1]
Afin de pallier certains de ces dangers, les exploitants ferroviaires ont mis en place des solutions. Par exemple les signaux implantés le long des voies, que le conducteur doit respecter. Sauf que cela ne suffit pas.
En GoA0, c’est à dire en conduite à vue, la vigilance du conducteur n’est pas assurée en permanence. C’est ainsi que des automatismes ont été inventés pour superviser la conduite : c’est le début du GoA1.
1.2. L’apparition des automatismes
Les exploitants ont mis en place des dispositifs de rattrapage, comme le crocodile en France, inventé en 1872. [2] Le crocodile est un équipement posé au pied de chaque signal. Il alerte le conducteur par un BIP sonore en cabine, au passage d’un signal présentant un aspect restrictif. Le conducteur a alors quelques secondes pour acquitter l’information, par appui sur un bouton. En l’absence d’acquittement dans le temps imparti, le train s’arrête automatiquement.
Le système allemand PZB, dont la première version a été mise au point dans les années 1930, équipe en 2019 32 398 km du réseau fédéral. [3] Ce dispositif a trois fonctions : appliquer le freinage au franchissement de signaux fermés, surveiller le non dépassement d’une vitesse maximale sur une section de voie, et surveiller l’acquittement par le conducteur du franchissement de signaux d’avertissement. Le PZB fait partie des systèmes de protection des trains : les ATP (Automatic Train Protection).
En France, le crocodile n’est pas suffisant pour éviter des accidents ferroviaires. Durant les années 1980, SNCF décide d’équiper ses trains d’un ATP : c’est le KVB. Le contrôle de vitesse par balises (KVB) est un équipement obligatoire sur un train, afin que celui-ci puisse circuler sur le réseau Français.
2. Les principes d’un ATP
2.1 Les principes généraux
De manière générale, un ATP a pour fonction de réaliser la protection du mouvement d’un train, contribuant ainsi à limiter les dangers inhérents au système ferroviaire.
Pour cela, un ATP récupère à tout instant les informations de signalisation, sur la base des systèmes installés au sol :
- Poste d’aiguillage (aussi appelé enclenchement), qui transmet à l’ATP les états de l’ensemble des signaux dont il a la responsabilité,
- Les signaux eux-mêmes, lorsqu’une connexion à l’enclenchement n’est pas possible, ou pas pertinente.
Les systèmes de signalisation au sol sont parfaitement agnostiques des trains qui circulent sur l’infrastructure. Aussi, pour superviser correctement le mouvement du train, l’ATP se base sur des informations embarquées :
- Propriétés du train, renseignées dans l’ATP par le conducteur : longueur, masse.
- Vitesse et position du train dans un référentiel de positionnement (souvent un référentiel propre à l’ATP),
L’ATP combine toutes ces informations, pour vérifier si le mouvement du train est autorisé :
- Le train circule à une vitesse qui ne dépasse pas une vitesse limite,
- Le train circule dans une enveloppe autorisée par la signalisation au sol, donc par l’ATP.
Si ce n’est pas le cas, alors l’ATP applique automatiquement le freinage, grâce à une connexion directe avec le train.
Pour les circulations à grande vitesse, où l’observation des signaux le long de la voie n’est plus possible, la fonction de signalisation de cabine a été développée pour certains ATP comme la Transmission Voie-Machine (TVM) en France, ou le Linienzugbeeinflussung (LZB) en Allemagne. Dès lors, il est possible de se passer totalement de la signalisation latérale, et de n’opérer que sur la base d’un ATP offrant la signalisation de cabine.
2.2 Décomposition d’un ATP
Le fonctionnement de l’ATP nécessite qu’il soit situé à la fois au sol, et à bord.
Par conséquent, l’ATP se décompose en deux sous-systèmes :
- Sol : pour récupérer, partout où cela est requis, les informations de signalisation, et les envoyer au bord,
- Bord :
- pour récupérer du sous-système sol les informations de signalisation,
- pour récupérer du conducteur les propriétés du train dont le mouvement doit être supervisé (longueur, masse),
- pour récupérer du train sa vitesse, et estimer son positionnement,
- pour restituer au conducteur la signalisation de cabine, lorsque l’ATP propose cette fonction,
- pour intervenir sur le train, lorsque le mouvement n’est pas autorisé.
Une interface sol-bord apparaît entre les deux sous-systèmes (aussi appelée airgap). Cette interface fait partie intégrante du système ATP.
2.3 Constituants d’un ATP
Voyons maintenant plus en détail les constituants des sous-systèmes bord et sol.
L’ATP sol, qui a pour fonction de récupérer les informations de signalisation et de les transmettre au bord, est composé des éléments suivants :
- Encodeur, un dispositif qui s’interface avec le système de signalisation au sol (par le biais de capteurs, d’interfaces tout ou rien, numériques, etc), et qui adapte cette information, dans le langage propre à l’ATP,
- Emetteur, qui transmet au train l’information adaptée par l’encodeur.
L’ATP bord, qui a pour fonctions de superviser les mouvements du train, et d’afficher la signalisation en cabine (pour les ATP proposant cette option), est composé des éléments suivants :
- Antenne, qui récupère les données transmises par l’émetteur au sol,
- Odomètre, un dispositif permettant d’estimer la distance parcourue par le train, et sa vitesse,
- Interface train, qui pilote des entrées / sorties vers le train, afin d’appliquer le freinage d’urgence par exemple,
- Interface homme-machine, un dispositif en cabine de conduite, permettant au conducteur d’interagir avec l’ATP (renseignement des propriétés train ; signalisation de cabine),
- Calculateur, l’ordinateur embarqué, qui, sur la base des informations reçues de l’antenne, de l’odomètre, et des données train renseignées par le conducteur, applique automatiquement le freinage d’urgence via l’interface train, si le mouvement n’est pas conforme, et affiche la signalisation à l’interface homme-machine.
Voici ci-dessous quelques exemples de calculateurs bord pour des ATP comme le KVB (France) et PZB (Allemagne).
2.4 Les systèmes de protection et la problématique de l’interopérabilité
La France s’est équipée de son système de protection, le KVB, dans les années 1980. D’autres pays de l’Union Européenne ont fait appel à leur industrie nationale, afin de s’équiper de systèmes permettant de réaliser la protection des trains. Certains systèmes permettant aussi l’affichage d’informations de signalisation en cabine.
En effet, la construction des lignes à grande vitesse a engendré une problématique : le conducteur ne peut plus percevoir les signaux implantés le long des voies à des vitesses élevées. Un système affichant les informations de signalisation en cabine est alors nécessaire. Dès lors, les exploitants ont fait appel à leurs industriels nationaux pour concevoir ces systèmes. Cela a conduit à une grande diversité de systèmes de protection au sein de l’Union.
Ces systèmes présentent tous une interface sol-bord (airgap) spécifique, si bien que les systèmes sont incompatibles entre-eux. En conséquence, un train opérant dans différents pays de l’Union, doit impérativement s’équiper de l’ensemble des ATP requis par chaque réseau. Cela est un frein considérable à l’interopérabilité.
On entend par «interopérabilité», l’aptitude d’un système ferroviaire à permettre la circulation sûre et sans rupture de trains qui accomplissent les niveaux de performance requis.
Eurostar Red, capable d’opérer dans 4 pays et équipé de 7 systèmes de signalisation embarqués. Crédit : Eurostar.
L’Eurostar rouge, le train à grande vitesse entre Paris-Cologne-Amsterdam, est un exemple emblématique de cette difficulté que posent les multiples systèmes de protection en Europe. Afin de pouvoir circuler en France, Belgique, Pays-Bas et Allemagne, ce train est multi-systèmes, c’est-à-dire équipé de plusieurs ATP embarqués différents [4] :
Tous ces ATP consomment de l’espace à l’intérieur du train (armoires informatiques, capteurs et antennes sous caisse). Leur intégration est une tâche très complexe et coûteuse. De plus, le conducteur doit être formé à l’utilisation de tous ces systèmes, rendant son travail plus difficile. Enfin, maintenir un train avec tous ces systèmes dans le temps, représente un coût important.
2.5 Vers la genèse d’un système technique harmonisé en Europe : ERTMS
L’existence de plus de 20 systèmes de protection en Europe devenant un obstacle important à l’interopérabilité, le développement d’un ATP standardisé commence à être discuté fin des années 1980. La Commission Européenne s’empare du sujet en 1995 en définissant une stratégie pour le développement de ce système. Plusieurs entreprises de signalisation, regroupées au sein d’une structure appelée UNISIG, rédigent les spécifications du système en 1998. [5]
Les spécifications donnent naissance au premier ATP standard : ETCS (European Train Control System). A ce jour, les ATP nationaux sont obsolètes. Ils sont nommés systèmes legacy (hérités) ou encore systèmes de classe B dans la nomenclature de l’Union Européenne. Les systèmes de classe B doivent être remplacés par l’ATP ETCS à terme.
Avec la création de l’ETCS, naît un système technique harmonisé : ERTMS.
Article suivant : ERTMS, le système européen de gestion de trafic des trains
Crédit photo de couverture : Bastian Simoni.
Références :
[1] https://securite-ferroviaire.fr/la-securite-ferroviaire/comprendre-la-securite-ferroviaire
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Crocodile_(signalisation_ferroviaire)
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Punktf%C3%B6rmige_Zugbeeinflussung
[4] https://www.ertms.net/wp-content/uploads/2021/06/9.-A-unique-signaling-system-for-Europe.pdf
[5] https://www.ertms.net/wp-content/uploads/2021/06/8.-ERTMS-History.pdf